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Bilan CO2 des biocarburants : des chercheurs réévaluent l’impact de l’affectation des terres agricoles

« CASI », cette abréviation de plus en plus utilisée dans les médias renvoie à une question qui fait aujourd’hui débat : les cultures destinées aux biocarburants impliquent-elles des changements d’affectation des sols agricoles dommageables pour l’environnement ? Décryptage et éléments de réponse.

 

Champbetterave

 

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« L’affectation des sols », un enjeu planétaire

 

Les discussions actuelles concernant le « changement d’affectation des sols » (CAS) traduisent les enjeux autour de toute activité humaine et de son impact sur l’utilisation des terres et in fine sur la circulation « naturelle » du carbone entre l’atmosphère et la biosphère terrestre. Les pouvoirs publics se sont emparés de cette problématique afin d’affiner leur analyse du bilan carbone des biocarburants et de mieux évaluer leur impact direct et indirect sur l’environnement. De manière concrète, on distingue deux types de CAS :

 

  • Le changement direct d’affectation des sols  définit les situations où les cultures destinées aux biocarburants s’effectuent sur des terres qui auparavant stockaient et captaient du carbone : prairies, forêts, tourbières… En France comme en Europe, cette notion est sans objet car les espaces naturels riches en carbone et en biodiversité sont protégés et ne peuvent être transformés en surfaces agricoles.
  • Le changement indirect d’affectation des sols (CASI) – ou « ILUC » en Anglais (indirect land-use change) – suppose que les cultures destinées à la production de biocarburants se substituent à des cultures alimentaires, ce qui entraînerait un glissement géographique et structurel des cultures destinées à servir les besoins alimentaires. Par exemple, l’huile de colza ou le sucre de betterave produits en Europe seraient respectivement remplacés par de l’huile de palme et du sucre de canne importés. Ce qui favoriserait l’extension des cultures en d’autres points de la planète au détriment d’espaces capteurs de carbone (forêts, prairies) et aurait globalement un impact négatif en terme de bilan de gaz à effet de serre.

 

Une alerte lancée sur des bases erronées

 

C’est à partir de ce postulat que, depuis la fin des années 2000, les CASI ont fait leur apparition dans le débat sur les biocarburants. En effet, différentes études ont alerté l’opinion et les Pouvoir publics sur l’impact des CASI sur les émissions de gaz à effets de serre liées à la production de biocarburants. Or ces études sont construites sur des modèles mathématiques dont le calibrage et la pertinence  sont aujourd’hui remis en cause par la communauté scientifique, voire par leurs auteurs eux-mêmes.

 

Selon une analyse portant sur le biodiesel réalisée par un chercheur de l’Inra, ces modèles ont sous estimé un paramètre déterminant : l’évolution des rendements. « En agriculture, une augmentation de production ne peut s’effectuer que par deux moyens : l’augmentation des surfaces cultivées ou l’augmentation des rendements, explique l’auteur de cette analyse, Alexandre Gohin (1). Il s’avère que, dans l’histoire de l’agriculture, on a réussi grâce aux progrès techniques, à augmenter les rendements et très peu les surfaces. Malgré cette réalité, les modèles jusqu’alors utilisés considéraient que l’augmentation des productions agricoles destinées aux biocarburants était liée à 80 % à l’effet « surfaces », entraînant des transferts de terre, et à 20 % à l’effet « rendements ». Or, sur la base de paramètres de rendements plus proches de la réalité et validés par la FAO (2), il est désormais possible d’établir un nouveau modèle débouchant sur un ratio inversé : 63 % pour les rendements et le reste pour les surfaces. »

 

Un recul des arguments défavorables au bioéthanol

 

Corroboré par une étude américaine de l’université d’Illinois qui met en lumière l’insuffisante prise en compte des rendements dans les études malgré une importante différence d’impact (95 %), ce nouveau modèle modifie profondément les connaissances aujourd’hui disponibles sur le bilan environnemental des biocarburants et annonce un renversement de tendance dans la controverse sur l’impact des changements indirects d’affectation des sols. Parallèlement, plusieurs études récemment publiées par le cabinet d’expertise Ecofys (3) révisent fortement à la baisse les estimations sur l’accaparement des terres par les cultures énergétiques et sur le lien entre biocarburants et volatilité des prix des matières premières alimentaires.

 

Au final, la nécessité d’approfondir les études sur les CASI a conduit le Parlement et le Conseil européens à repousser toutes mesures et décisions relatives au développement des biocarburants qui prendraient en compte cette notion scientifiquement controversée. Un premier signe qui montre que le débat sur les biocarburants déserte les positions extrêmes pour se placer sur le terrain de la raison scientifique. Ainsi que le confirme un représentant de la filière, « le manque de maturité et de robustesse des données disponibles sur la question des CASI est désormais un fait reconnu. Ainsi, de manière générale, on sent que le débat se rééquilibre et que les positions sont plus nuancées. »

 

1. Le changement d’affectation des sols induit par la consommation européenne de biodiesel : une analyse de sensibilité aux évolutions des rendements agricoles, INRA Science & Impact, juin 2013.
2. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
3. Biofuels ans Food Security : Risks and Opportunities, septembre 2013

 

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ZoomSurfaces agricoles et cultures énergétiques en France

En France la surface utilisée pour les biocarburants (bioéthanol et biodiesel confondus) représente moins de 3 % de la surface agricole utile. La production de bioéthanol requiert environ 4 millions de tonnes (Mt) de betteraves et 2 à 3 Mt de céréales. Les surfaces agricoles dédiées à cette production représentent respectivement 11.5 %* des surfaces betteravières et 2,5 % des surfaces céréalières. En outre, le développement des surfaces betteravières « bioéthanol » a été compensé par la baisse des surfaces « sucre » générée par la réforme du régime sucrier européen de 2006.*Selon étude agrex surface nette consacrée en 2012

 

 

LienUtilePour aller plus loin

> Sur l’étude Inra concernant la prise en compte des évolutions des rendements agricoles dans le cadre des questions d’affectation des sols

> Pour consulter le rapport Ecofys « Biocarburants et sécurité alimentaire : risques et opportunités » (document en anglais)

> Sur les critères de durabilité du bioéthanol de betterave

> Sur le potentiel agricole du bioéthanol produit en France

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